dimanche 8 janvier 2012

Une «bonne» dette

Il existe de «bonnes» dettes.  Vous vous dites que jamais vous n'auriez pu acheter votre maison si vous n'aviez pas emprunté. Vous avez démarré votre entreprise avec un emprunt et aujourd'hui elle est prospère.   Pourquoi est-ce qu'une municipalité ne devrait pas s'endetter?  Donnons d'abord quelques définitions.

Comment détermine-t-on le montant qu'on peut emprunter?

Il existe deux notions importantes lorsque vient le temps de déterminer un endettement «raisonnable»:  La garantie et la capacité de remboursement.

Garantie

Lorsque quelqu'un veut prêter de l'argent à une autre personne, elle veut s'assurer que si la personne fait défaut de paiement, elle aura suffisamment d'actif pour le rembourser.  C'est ce qu'on appelle une garantie.  Si ce que l'on veut acheter avec l'emprunt est, disons, une maison, c'est très positif pour le prêteur puisque la maison servira de garantie pour le prêt.  Si l'emprunt est pour un voyage ou une opération chirugicale, alors le prêteur exigera probablement que vous mettiez un autre objet en garantie.

Par contre, la garantie ne détermine pas le montant que vous pouvez emprunter.  En effet, allez voir votre banquier et dites-lui que vous voulez emprunter pour acheter la place Ville-Marie, tout en lui disant que le bâtiment servira de garantie et il est évident que vous n'obtiendrez pas l'emprunt.  Pourquoi?  Parce que vous n'avez pas la capacité de faire les paiements.

Capacité de remboursement

Ce qui détermine le montant maximal que vous pouvez emprunter n'est pas ce que vous possédez mais les revenus que vous avez.  C'est bien beau d'avoir une garantie, mais le prêteur n'est pas intéressé à reprendre vos biens et être pris pour les revendre (peut-être à perte) car il n'est pas un acheteur-vendeur.  Sa spécialité, ce qu'il connaît, ce sont les prêts et il veut faire des bénifices en amassant des intérêts.  C'est pourquoi il analyse vos revenus et tente de déterminer votre capacité de remboursement − capital et intérêts.

Vous avez peut-être remarqué que les banques sont prêtes à prêter des montants plus élevés qu'auparavant.  La raison est fort simple:  Puisque les taux d'intérêt ont diminué, il y a moins d'intérêts à rembourser et, par conséquent, pour une même capacité de remboursement, vous pouvez rembourser plus de capital, donc un plus gros emprunt.  Par exemple, si on détermine que vous pouvez rembourser 1000 $ par mois, pour le prêteur ça n'a pas d'importance si c'est 900$ de capital plus 100$ d'intérêts ou 700$ de capital plus 300$ d'intérêts − votre maximum ce sera toujours 1000$ par mois.  Naturellement, plus la part d'intérêts sera importante, plus le prêteur aimera ça.  Avec des taux d'intérêts bas, vous devriez normalement rembourser plus rapidement avec une même capacité de remboursement;  le prêteur préfèrera vous prêter plus d'argent afin d'aller chercher un maximum d'intérêts.

Une municipalité

Pour une municipalité, quelles sont les garanties et la capacité de remboursement?

Même si je considère l'actif d'une ville comme étant peu important pour déterminer sa capacité d'emprunt, je veux en parler un peu car ça revient souvent sur le sujet.  Plusieurs présentent la richesse foncière uniformisée (RFU) comme étant l'actif d'une ville.  C'est faux.  Bien que ce chiffre est utile pour faire des comparaisons entre les différentes municipalités, ça ne représente pas l'actif d'une ville.  La RFU représente la valeur de tous les immeubles d'une ville.  Mais lorsque la ville emprunte, votre maison n'est pas hypothèquée, c'est-à-dire que si la ville ne paie pas, personne ne saisira votre maison.  Alors dire que la dette d'une ville qui représente 2,5% de la RFU, c'est l'équivalent d'une hypothèque de 5 000 $ sur une maison de 200 000 $, c'est de la malhonnêteté intellectuelle.  En fait, il faudrait utiliser le véritable actif d'une ville, par exemple, la mairie, le garage municipale, les parcs, etc.  Encore là, il y a des actifs qui n'ont pas une grande valeur marchande, comme les rues par exemple.  Mais, bref, tout ça n'a pas vraiment d'importance, puisqu'on a déjà défini que ce qui est importe vraiment pour déterminer l'endettement maximal, c'est la capacité de de remboursement et ça, ça dépend des revenus.

Les revenus d'une ville sont directement relié à la RFU.  Plus une ville vaut chère − soit parce qu'il y a beaucoup d'immeubles, soit parce que les immeubles ont une grande valeur − plus elle a de revenus.  Après tout, c'est la façon dont vous payez vos taxes municipales:  Basé sur la valeur de votre immeuble.  Si les revenus d'une ville est basée sur la RFU, alors la capacité de remboursement est aussi, indirectement, basée sur la RFU.  Voilà pourquoi on peut dire que si une ville à une dette supérieure à 4%-5% de la RFU, elle est surendettée.  C'est lié à sa capacité de remboursement.

Avoir une capacité de remboursement ne veut pas dire qu'on doit emprunter

Comparer la dette d'une Ville avec une hypothèque

Il est temps maintenant de parler de la comparaison populaire suivante:  «Si je n'aurais pas emprunté, je n'aurais jamais pu acheter une maison.»  À partir de là, plusieurs personnes justifient l'endettement d'une municipalité.  Comparons les deux cas.

Imaginons qu'une famille possède un revenu de 85 000 $.  Il est normal qu'une telle famille s'achète une maison de, disons, 300 000 $.  Dans tous les cas, l'achat se fera par emprunt, le contraire étant pratiquement inconcevable sans une autre source de revenu (héritage, loterie, etc.).

En ce qui concerne le budget 2012 de la Ville de Granby, les revenus seront de 85 M $, soit 1000 fois plus que les revenus de notre famille.  Donc, une dépense équivalente à la maison de notre famille devrait être aussi 1000 fois plus grande pour que la comparaison soit honnête, donc 300 M $.  Or, il n'y a aucune dépense d'une ville de la taille de Granby qui atteint un tel montant.  Dans les dernières années, je crois que la dépense la plus grande a été la rénovation de la caserne de pompiers au coût de 7,5 M $.  Même des dépenses comme le pont Mountain ou l'aréna ne coûtent que 5 ou 6 M $ à la Ville de Granby.  Notez qu'on parle ici de dépenses qui reviennent aux 20, 30 ou 50 ans.  C'est donc dire qu'une «grosse dépense» pour la Ville de Granby est l'équivalent de 7 500 $ pour notre famille avec un revenu de 85 000 $.  C'est loin d'être une dépense impossible à payer comptant.

De plus, une ville comme Granby doit mettre au moins 10 M $ par année dans ses infrastructures de rues, alors emprunter pour le faire devient ridicule puisque ça revient chaque année, mieux vaut le prévoir dans le budget annuel.

En fait, une ville de la taille de Granby est considérée comme étant surendettée si elle à une dette supérieure à 250 M $ (environ 5% de la RFU).  Alors à 300 M $, il est certain que le ministère des affaires municipales aurait refusé d'autoriser les emprunts il y a belle lurette.

Le problème avec la comparaison de l'achat d'une maison pour une famille, c'est qu'on ne peut pas acheter un «dixième» de maison pendant dix ans jusqu'à ce qu'on obtienne une maison «complète».  Mais un tel achat n'existe pas au niveau d'une municipalité.  On l'a démontré, la plus grosse dépense d'une municipalité pour faire un projet complet est environ 50 fois plus petite que l'équivalent d'une maison pour notre famille.  Il est donc très facile de répartir ces dépenses sur plusieurs années.

Comparer la dette d'une ville avec l'emprunt d'une entreprise

Un autre exemple souvent mentionné pour valider l'endettement d'une Ville est celui où un entrepreneur fait un emprunt qui lui permet d'augmenter ses revenus.  Par exemple, un livreur de pain emprunte pour s'acheter un plus gros camion, ce qui lui permet de faire plus de livraisons et de lui donner un meilleure visibilité.  Ainsi son revenu augmente et compense amplement le coût des intérêts sur l'emprunt.  On utilise ce genre d'exemple particulièrement lorsqu'une ville veut faire un emprunt «payant», avec des retombés économiques.

J''introduis ici la notion de risque.  Dans l'exemple ci-haut, ce qui n'est pas dit, c'est que d'avoir un plus gros camion ne veut pas nécessairement dire plus de revenus.  Au Canada, 15% des entreprises qui font leur apparition sur le marché ne survivent pas plus d'une année, 30% ne vivront pas plus de deux ans et seulement 51% réussissent à dépasser le cap des cinq ans. (source)  Près de la moitié des faillites au Canada sont principalement attribuables à des lacunes de l’entreprise plutôt qu’à des problèmes qui échappent à son contrôle.  Ces entreprises n’ont pas acquis les compétences de base essentielles à leur survie. Les lacunes en matière de gestion ainsi que le manque de débouchés pour leur produit ont causé leur perte.  La faillite découle principalement de l’inexpérience des gestionnaires. Ces derniers n’ont ni l’expérience, ni connaissances, ni la vision nécessaires pour diriger leur entreprise. Même lorsque l’entreprise avance en âge et que les gestionnaires deviennent plus expérimentés, le manque de connaissances et l’absence de vision demeurent des lacunes cruciales qui sont à l’origine de la faillite. (source)

La différence entre une municipalité et une entreprise, c'est qu'on n'a pas le choix de payer nos taxes, mais on peut choisir d'investir dans une entreprise ou non.  Un autre facteur important est que n'importe qui peut devenir «gérant» d'une ville; il n'y pas de compétences requises pour se présenter aux élections.

Je suis toujours étonné de voir les gens ne pas se soucier des projets que les élus font avec leur argent, alors que tous ce que les élus ont à dire c'est «Je suis sûr que ça va marcher» et que si le projet ne fonctionne pas, les élus n'ont rien à perdre personnellement (hormis les prochaines élections).  Jamais quelqu'un n'investirait dans une entreprise privée avec de telles conditions.

Naturellement, on ne peut pas éliminer la notion de risque.  Mais sachant le peu d'exigence qu'on a envers les élus, je considère que le fait de choisir la bonne méthode de faire les rues ou de choisir si investir dans un terrain de soccer rendra plus de service à la population que d'investir dans un terrain de baseball sont des risques suffisamment élevés.

Si un maire veut en faire plus pour sa ville et qu'il est compétent pour le faire, il peut toujours le faire en parallèle comme c'est le cas à St-Joachim-de-Shefford.  Là-bas, on a créé des coopératives («Pays de la poire», «Au coeur du village») pour des projets de revitalisation du village.  Dans ces cas, seul les personnes intéressées y participent (et ils en auront les profits s'il y a lieu) et les gestionnaires de ces coopératives sont beaucoup plus redevables que les élus municipaux pourraient l'être.

Si un maire est incapable de convaincre suffisament de monde pour qu'ils participent à une coopérative pour un projet particulier comme la revitalisation d'un centre-ville, comment peut-il avoir l'autorité de «forcer» toute une population à le suivre?

Remboursement de la dette

Un autre point à noter concernant les derniers exemples:  Que ce soit pour une maison ou un entreprise, les dettes finissent toujours par être remboursées.  C'est après avoir remboursé la dette qu'on peut évaluer si l'investissement en valait le coût.

Par contre, lorsqu'on parle de l'endettement d'une ville, on ne parle jamais de remboursement.  Chaque fois qu'on fait un paiement pour le remboursement, on se dépêche de réemprunter le montant et même, trop souvent, un montant plus élevé.

Si on prendrait le temps de rembourser chaque emprunt avant de passer au suivant, on verrait que ce n'est pas si payant que ça.  En augmentant constamment la dette, on ne fait que s'habituer à payer des intérêts, jusqu'à croire que c'est une dépense «normale» de tout bon budget.

Payer le pont Champlain comptant?

Ceci me rappelle un autre exemple qu'on m'a déjà servi:  «Denny, tu ne peux me dire que tu voudrais payer le pont Champlain comptant, ça coûte 2 milliards $!  Tu ne peux pas être contre les emprunts dans un tel cas?  On doit répartir les coûts sur plusieurs générations.»

Encore une fois, tout ceci est une question de relativiser les montants.  Chaque année, au Québec seulement, nous payons 7 milliards $ pour les intérêts sur la dette.  Deux choix:

1. On considère que 7 milliards $ par année c'est peu d'argent et, donc, 2 milliards $ ne réprésente pas un gros montant à payer dans un budget annuel;
2. On considère que 2 milliards $ par année c'est beaucoup d'argent et, par conséquent, la dette est beaucoup trop grosse puisqu'elle nous coûte 7 milliards $ d'intérêts qui nous rapportent absolument rien.

Peu importe ce que l'on pense, ce genre de montant n'est qu'une portion de ce qu'on l'on paye chaque année et on réussi à le trouver, c'est donc qu'il est possible de le payer aisément en une seule année (contrairement à l'achat d'une maison pour un particulier, par exemple).  Tout est une question de choix.  Et en ce moment nos élus font les mauvais choix.

2 commentaires:

  1. Après ça, c’est fini pour un bout de temps


    Je vous ramène à la présentation du BUDGET 2008 qui a eu lieu le 3 décembre 2007.

    Présentation du PTI, emprunts prévus :

    2008 – 15 400 000$
    2009 – 14 300 000$
    2010 – 6 400 000$

    Lors de l’explication du PTI de 2010, le Maire a fait une déclaration concernant les emprunts au PTI. Voici ce qu’il disait :

    « Et la Ville veut emprunter en 2010, parce que y a trois années, on s’en cache pas, y a trois années qu’on veut emprunter; après ça, c’est fini pour un bout de temps.»

    Il est à noter que les données concernant les deux dernières années d’un PTI ne sont pas officielles, ce sont les prévisions, orientations ou si vous préférez la vision.

    Pour en finir, rendons nous dans un premier temps, en grand nombre, pour signer le prochain registre d’emprunt au montant de 21 751 200$.

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  2. @Anonyme 8 janvier 2012 17:58

    J'aimerais que vous me contactiez si vous avez une copie vidéo de cette remarque.

    Je me rappelle très bien de cette remarque lorsque Richard Goulet la prononcée et j'ai voulu en obtenir une copie de la part du canal Vox, malheureusement on m'a dit qu'il ne gardait pas les archives aussi longtemps.

    Si vous en avez une copie, je me ferai une joie d'écrire un blog sur le sujet.

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