mardi 12 juin 2012

Le déboisement

Ce matin, en lisant La Voix de l'Est, je tombe sur cet extrait d'un article:

"Parce que le copropriétaire du camping, Philippe Lussier, «a l'intention» d'abattre des arbres et de niveler le terrain dans une zone visée par un jugement, les élus ont adopté hier soir une résolution afin d'entreprendre les actions légales pour l'en empêcher."

Ça m'a ébranler de lire à quel point le conseil peut vouloir «protéger» des arbres ... quand il le veut.  Mais je reviendrai là-dessus un peu loin car, tout d'abord, j'aimerais clarifier les détails de l'affaire Granby (Ville de) c. Camping Granby inc. afin de bien comprendre ce qui se passe.

Il était une fois un camping ...

La situation des campings n'a jamais vraiment été règlementée sur le territoire de la Ville.  Du moins, elle n'était pas très claire.

En 2003, il y a eu une refonte complète du règlement de zonage.  On en a profité pour clarifier celle du Camping Granby.  Au départ, on voulait tout simplement classer le terrain en zone commercial pour usage de camping.  Mais des résidants qui bordaient ce camping se plaignaient de la présence des campeurs et on a utilisé un subterfuge plus compliqué pour contenter tout le monde.

Les usages conditionnels

La loi permettait désormais d'avoir un règlement sur les usages conditionnels.  Grosso modo, cela permet à la Ville de dire qu'un usage autre que celui permis par le règlement de zonage peut être légal ... sous certaines conditions.

Alors on créa ce règlement (en même temps qu'on faisait la refonte du règlement de zonage) et on y a incorporé la zone IN04R - une zone résidentielle - pour laquelle on pourrait l'utiliser comme terrain de camping ... sous certaines conditions.

La zone IN04R n'existait pas.  On a créé cette zone sur le terrain de Camping Granby, adjacent aux résidences voisines.  Le restant du terrain de camping fût zoné commercial pour usage de camping, la zone IN03C.
Naturellement, c'est un camping (déjà partiellement développé), personne n'a l'intention de construire de résidences sur cette portion de terrain.  Mais tout est dans les détails.

Grâce au nouveau règlement sur les usages conditionnels, cette nouvelle zone résidentielle a maintenant un usage conditionnel autorisé:  terrain de camping.  En fait c'est la seule zone dans le tout Granby qui a cet usage conditionnel.  Voici un aperçu des conditions (selon la nouvelle version du règlement de 2008):

Les renseignements siuvant doivent être fournis:

Pas trop pire.  Mais le conseil doit autoriser la demande suivant certains critères d'évaluation.  Voici ceux pour la catégorie «terrain de camping» (Je vous rappelle que dans la Ville de Granby, seulement une partie du Camping Granby peut se qualifier pour demander cette autorisation,):

Mais pendant l'évaluation, il faudra aussi tenir compte de certaines caratéristiques:

Pour vous démontrer à quel point la Ville a poussé le règlement (je vous rappelle que seul le Camping Granby est visé), voici l'annexe I du règlement qui propose un aménagement paysager (quelqu'un a été payé pour faire ces dessins).  Cliquez les images pour les agrandir:

Donc, on «suggère» la sorte d'arbres à planter, comment les disposer et la hauteur du sol sur lesquels on les plantera.  Grosso modo, on veut une zone tampon de 60 m,  dont 20 m boisé.  On voudrait aussi réduire le nombre de bâtiments de service, ainsi qu'espacer les sites de camping afin d'en diminuer le nombre à mesure qu'on s'approche de la zone tampon.

Mais Camping Granby voit les choses autrement.  Il considère avoir un droit acquis et qu'il peut fonctionner comme s'il avait un zonage commercial «terrain de camping».  Les propriétaires font fit du règlement et continu le développement du camping comme si de rien n'était.  Si la Ville n'est pas contente, qu'elle poursuive.  Ce qu'elle fît.

Le jugement

À en croire certain, la Ville a gagné sa cause.  Selon moi, pas tant que ça.  Voici ce que le jugement dit:

  • Camping Granby a un droit acquis dans la zone IN04R, sauf pour une bande de 66 m longeant ses voisins;
  • Camping Granby ne peut pas agrandir son camping là où il a un droit acquis, sauf s'il se conforme au règlement sur les usages conditionels;
  • Camping Granby ne peut plus utiliser la bande de 66 m pour un usage non autorisé par le règlement de zonage ou celui sur les usages conditionels;
  • Camping Granby doit cesser d'utiliser la bande de 66 m comme terrain de camping tant qu'elle n'aura pas l'autorisation du conseil;
  •  Camping Granby doit cesser de faire des travaux de terrassement, d'aménagement et d’abattage d’arbres en vue d'aménager ou d'utiliser un terrain de camping dans la bande de 66 m tant qu'elle n'aura pas les autorisations nécessaires;
  • Camping Granby doit procéder à l’enlèvement des matériaux utilisés pour aménager tous les ouvrages, chemins ou sites de camping dans la bande de 66 m et, une fois l’enlèvement des matériaux complété, à la re-végétalisation au moyen de terre végétale des chemins ou parties de chemins et des sites (on ne parle pas de reboisement, comme certain pourrait le laisser croire);
Rappellons, qu'en ce moment, Camping Granby jouit d'un droit acquis et n'a pas demandé d'autorisation pour un usage conditionel et ce, en toute légalité.  Rien ne le force à aménager une zone tampon ou à réduire la densification des sites de camping dans cette zone «résidentielle».

Mais la ville voulait forcer Camping Granby à suivre son règlement.  Elle demandait des choses qui lui ont été refusées:

[213]Même si le recours de la demanderesse [La Ville de Granby] doit être accueilli, toutes les conclusions recherchées ne peuvent être accordées. Ainsi, la demanderesse [La Ville de Granby] demande au tribunal d'interdire aux utilisateurs du camping l'accès à la partie du lot située dans la zone IN04R que l'on peut qualifier de boisé. Le tribunal ne peut accorder une ordonnance aussi large. Le fait que certains campeurs puissent s'aventurer dans le boisé pour y cueillir des petits fruits ou le bois sec nécessaire à l'alimentation d'un feu de camp ne signifie pas nécessairement qu'il s'agit d'une utilisation comme camping.


[216]La demanderesse [La Ville de Granby] demande également qu'il soit ordonné à la défenderesse [Camping Granby], une fois l'enlèvement des matériaux et la re-végétalisation complétés, de mettre en place un écran végétal à une distance de 40 mètres de la ligne est de la zone IN04R. Le tribunal ne peut faire droit à cette demande. En effet, une fois que le tribunal a déterminé que la défenderesse [Camping Granby] a un droit acquis à un usage dérogatoire jusqu'à l'orée du boisé situé à l'est du terrain, rien n'empêche la défenderesse [Camping Granby] de couper les arbres situés dans ce boisé, pourvu que cela n’aille pas à l'encontre de toute autre loi ou réglementation municipale.

Plus de zone tampon obligatoire.  Pourtant la raison première de faire ce changement de zonage.

Ceci nous ramène à l'article d'aujourd'hui:

"Parce que le copropriétaire du camping, Philippe Lussier, «a l'intention» d'abattre des arbres et de niveler le terrain dans une zone visée par un jugement, les élus ont adopté hier soir une résolution afin d'entreprendre les actions légales pour l'en empêcher."

Le jugement ne l'empêche pas d'abattre des arbres ou même de niveler le terrain.  Seulement il ne peut pas abattre des arbres ou niveler le terrain en vue d'aménager ou d'utiliser un terrain de camping.  Nuance!  Car il ne faut pas oublier qu'il est toujours chez lui et - grâce au nouveau zonage - le propriétaire pourrait faire un développement résidentiel dans cette zone tampon!  Et qui dit construction, dit abattage d'arbres.

Donc, lorsque le conseiller Denis Choinière nous dit:  «S'il avait respecté les règlements, ça ne serait jamais rendu là», on pourrait répondre: «S'il n'avait pas affronté la Ville, la Ville n'aurait jamais reconnu son droit acquis.»

Lorsque le conseiller Pierre Breton dit:  «La Ville protège les droits des citoyens de la rue Lemieux qui ont été brimés» ou que le conseiller Michel Mailhot dit:  «On vient de voter plutôt une protection.  On fait notre travail à 150%», il semblerait qu'il se cache derrière le conseil de grands protecteurs de nos boisés.  Mais ...

Camping Granby et Terres Miner:  Deux poids, deux mesures?

Voyons voir la raison pour laquelle tout ceci est venu me chercher.  Depuis un certain temps on sait qu'il y a eu une coupe d'arbres sur les terres Miner.  On ne parle pas d'«intention», le mal est déjà fait:  Une coupe à blanc d'une vingtaine d'acres.  Des arbres centenaires de plus de 2 pieds de diamètre.  Une forêt dévastée, même une portion longeant les terres humides qui se devait d'être remise à la Ville pour fin de parc.

Sur la photo suivante, on voit, en rouge, la portion déboisée et, en jaune, la portion où est entreposé le «déblai des terres Martel».  Je mets ça entre guillemets car il y a là un tamiseur pour la terre, un concasseur pour le roc et une scie mobile pour faire du bois de construction.  Il y a définitivement plus que de l'«entreposage» qui y est fait.


 Alors que les propriétaires actuels n'ont pas payé la Ville pour leur achat, alors que le développement est bloqué pour l'instant, alors que même si le développement avait lieu, il n'était pas prévu de développer cette zone avant 10 ans, la Ville a tout de même autorisé cette coupe à blanc.  Raison invoquée:  les propriétaires ont demandé un permis pour déblai/remblai, tout est conforme.

C'est quoi un permis déblai/remblai?

Voici comment un inspecteur de la Ville explique ceci:

À la base, vous ne pouvez pas couper un arbre, sauf s'il est malade ou dangeureux ... ou si vous avez un permis déblai/remblai.

Faire du déblai/remblai signifie niveler le sol.  Si vous ne compter pas changer le niveau du sol de plus de 1 mètre, vous n'avez pas besoin de permis mais, évidemment, vous ne pourrez pas couper d'arbres non plus car vous n'avez pas le permis.

Si vous prévoyez changer le niveau du sol de plus de 2 mètres,  non seulement vous devez obtenir un permis déblai/remblai, mais il doit être autorisé par le conseil en séance publique.  Beaucoup de trouble.  Beaucoup de visibilité.

Par contre, si vous prévoyez changer le niveau du sol entre 1 et 2 mètres, vous avez toujours besoin d'un permis déblai/remblai (qui vous permet de faire une coupe à blanc), mais ce permis peut être autorisé par l'inspecteur de la Ville seulement.

Voici le critère pour délivrer un tel permis par l'inspecteur:  Si quelqu'un lui en fait la demande ... il doit lui donner!  Aussi simple que ça!  Aucune justification nécessaire.  Provenant de l'aveu même d'un employé municipal, des permis sont délivrés, les arbres sont coupés et le sol n'est pas nivelé!  Personne ne fait rien, car tout serait légal!

Alors tout ceci nous ramène à l'article d'aujourd'hui:

"Parce que le copropriétaire du camping, Philippe Lussier, «a l'intention» d'abattre des arbres et de niveler le terrain dans une zone visée par un jugement, les élus ont adopté hier soir une résolution afin d'entreprendre les actions légales pour l'en empêcher."

Pourquoi la Ville est prête à entreprendre des actions légales pour empêcher quelqu'un qui aurait «l'intention» d'abattre des arbres (j'ai parlé au propriétaire et il me confirme que c'est faux, il ne fait que suivre le jugement et remettre en état les sites et les chemins), mais pour des arbres de meilleur qualité et en plus grande quantité, on donne un permis?  Pour le nivellement du sol - si c'est en deçà de 1 mètre - il n'a pas besoin de permis.

D'où vient cet élan soudain pour la protection des boisés?  Encore une fois, La Ville ira en cour contre une personne qu'on sait capable d'aller jusqu'en Cour Suprême.

Je crois que Pascal Bonin a - encore une fois - été le seul à faire preuve de jugement:

«La culture d'affrontement a assez duré».

1 commentaire:

  1. Evidemment l'incohérence décrite nes soulèvera pas de passion chez les journalistes de la région, trop occupé qu'ils sont à engranger la manne municipale.

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